Le
développement de technologies informatiques toujours plus
performantes et toujours plus “temps-réel” a permis
l'émergence, au cours des quarante dernières
années, d'un nouveau champ d'exploration artistique. Les
“objets” de ce champ sont assez inattendus puisqu'il ne s'agit plus
tant d'objets sonores ou plastiques, au sens traditionnels du terme,
mais de relations, et plus exactement “d'interactions”, entre et avec
ces objets. Les artistes ont
aujourd'hui la possibilité de concevoir, de réaliser et
d'expérimenter des interactions en tant que telles.
L'interaction, au sens des actions réciproques qui se
manifestent entre les chose, est en quelque sorte
réifiée. Elle peut être formulée,
calculée et essayée. Elle devient objet de discours et
dans certains cas, la matière même de l'oeuvre.
Il est
intéressant de noter que ce mouvement de réification de
l'interaction a, sur la même période et sur les même
bases technologiques, son parallèle dans le domaine des
sciences. Le développement des sciences de la complexité
(cybernétique, théorie du chaos, géométrie
fractale, vie artificielle, automates cellulaires, etc.) a
été largement facilité par le développement
de l'informatique et de ses possibilités de simulation, de
visualisation et d'expérimentation. Les concepts d'interaction
et de feedback y sont tout a fait centraux. Les sciences de la
complexité montrent notamment comment des actions
réciproques, simples et de portée locale, mais entre un
grand nombre d'éléments, créent
littéralement de la complexité. Les
propriétés, les structures et les comportements qui
résultent de ces interactions collectives sont qualifiés
“d'émergents”. En effet, ils ne semblent pas contenus dans les
éléments de départ, mais littéralement
émerger du fonctionnement global du système. Notre regard
sur les relations entre le simple et le complexe s'en trouve
changé. Il devient possible d'expliquer le complexe par le
simple.
Les Rencontres
Musicales Pluridisciplinaires 2006 veulent être l'occasion de
faire le point sur les notions d'interaction et plus
particulièrement de feedback dans la création musicale
contemporaine. Bien entendu c'est une banalité que de rappeler
que nous interagissons en permanence avec le monde qui nous entoure. Le
monde “est” interactif. Mais la technologie nous permet de changer ces
interactions, d'en inventer de nouvelles, de les écrire, de les
décrire et de les “mettre en oeuvre”.
On verra ainsi
qu'à côté des instruments acoustiques et des
instruments électroniques traditionnels, apparaissent
désormais des instruments “hybrides”. Des instruments
acoustiques dont ont change les propriétés physiques de
résonances par des techniques de feedback. Ce n'est plus le son
de l'instrument qui est transformé par l'électronique,
mais l'instrument lui-même. Mais la notion d'instrument de
musique est indissociable du geste qui en joue. Là aussi la
technologie nous permet d'expérimenter de nouveaux gestes
musicaux. Grâce à des techniques de captation du
mouvement, ces gestes peuvent désormais se faire dans l'espace,
en dehors de tout support physique. Ou au contraire on peut vouloir
reproduire des sensations gestuelles tactiles précises,
réalistes, par des techniques de “retour d'effort”
contrôlées par des modèles informatiques.
Les mécanismes
de feedback peuvent également porter sur d'autres dimensions du
discours musical, celles de la performance et de
l'interprétation. De nouveaux dispositifs sont désormais
capable d'analyser en temps-réel le jeu de l'instrumentiste et
d'en extraire des éléments caractéristiques. Ces
éléments peuvent servir à alimenter une sorte de
“double virtuel” qui va devenir un véritable partenaire de jeux
du musicien. Ils peuvent également servir des fins
pédagogiques, et permettre à l'élève,
grâce à des “miroirs technologiques”, de mieux prendre
conscience de son propre jeu et par la même d'en mieux corriger
les défauts.
Comme nous l'avons dit
plus haut, les notions d'interaction et de feedback dépassent
très largement le cadre de la musique et sont au coeur de
nombreuses autres disciplines. Il sera donc intéressant de
découvrir également les effets de feedback en sociologie
ou encore d'écouter le point de vue du mathématicien sur
les notions voisines de récurrence et de
récursivité.
Yann Orlarey
Les Rencontres Musicales
Pluridisciplinaires 2006 sont organisées par Grame, en
collaboration avec le Musée des Beaux-Arts de Lyon et avec le
soutien du Ministère de la Culture.
Programmation :
Y. Orlarey (Grame),
avec la collaboration de H. Genevois (LAM, Paris)