La
création numérique fait appel à de nombreux outils, qu'il s'agisse
d'appareils dédiés ou de logiciels spécialisés, dont la puissance et la
sophistication n'ont cessé de croître depuis la fin des années 50. Les
progrès considérables réalisés dans le domaine des interfaces
graphiques et de la communication Homme-Machine à partir des années 70
ont rendu ces outils de plus en plus conviviaux, permettant leur
appropriation par un nombre croissant d'artistes.
Bien que plus faciles d'accès, ces logiciels
n'ont pas pour autant
fait disparaître du champ artistique l'utilisation de la programmation
informatique. Les développements, initiés dès le début des années 60,
de langages de programmation spécialisés dans la composition musicale,
le traitement du son, puis ultérieurement les images de synthèse, ou
les interactions temps-réel, etc., n'ont en réalité jamais cessé. On
peut même considérer que les artistes sont parmi les pionniers de ce
que l'on appelle aujourd'hui le "end-user programming". Il convient
donc de s'interroger sur la place de ces langages et plus généralement
de la programmation informatique, dans l'acte de création artistique.
La programmation n'est-elle qu'un simple geste technique et subalterne,
ou s'inscrit-elle plus profondément dans l'acte de création numérique
et dans la pensée de l'artiste ?
Un certain nombre d'oeuvres et de démarches
artistiques (le
"live coding" par exemple) se placent très clairement dans la deuxième
hypothèse. Elles utilisent la programmation informatique de manière
radicale comme support d'une démarche d'invention pure. Elles
conduisent à l'émergence d'une forme nouvelle de programmation que l'on
peut qualifier de «programmation créative». Contrairement à la
programmation informatique traditionnelle, qui vise au développement de
programmes et d'applications, la programmation créative a pour but
l'invention et la conception "d'objets" numériques. Elle s'attache -via
leurs processus d'engendrement- à décrire ces objets algorithmiquement
car c'est souvent la seule façon d'appréhender véritablement ces objets
complexes.
Pour prendre un exemple dans le domaine musical,
il est
généralement plus pertinent, et plus facile, d'inventer l'instrument
qui va produire le son, que le son directement. Le langage de
programmation est alors utilisé non seulement comme moyen de
description et de réalisation technique mais également comme moyen de
découverte, d'invention et d'exploration de l'espace des possibles.
Dans le domaine des oeuvres interactives, comment décrire des
interactions, impliquant les musiciens ou le public, avec toute la
liberté et la généralité voulue sans faire appel à la puissance
expressive de véritables langages de programmation ?
L'objectif du colloque sera donc de faire le
point sur cette
pratique, sur ses implications artistiques, mais également sur ses
implications scientifiques et techniques. En effet la programmation
informatique a longtemps été conçue pour une démarche d'ingénieur, de
type résolution de problème. Ce type de démarche suppose que
l'objectif, le programme à écrire, le problème à résoudre, puissent
être définis et formalisés aussi clairement que possible, avant même
que l'activité de programmation ne commence. Or, bien souvent il n'y a
rien de tel dans la programmation créative. L'objet de la création ne
préexiste pas forcément au travail de programmation, de la même manière
que la musique à jouer ne préexiste pas au travail d'improvisation
(même si cela se prépare, bien entendu). Il se découvre et s'invente
dans le faire, dans l'interaction avec le langage de programmation. Il
en est l'émergence et non plus seulement la prémisse.