Le son est désormais un matériau appartenant pleinement à la saga des arts plastiques. Le XXème siècle écrivit en effet lhistoire de la contamination des territoires, des superpositions et des assimilations réciproques entre lart du son et lart visuel. Cette histoire a sa propre histoire. On peut schématiquement la rapporter à 3 temps :
Laprès 1912 : cest lépoque pionnière de lOrigine avec les bruits et gesticulations de Russolo et des Futuristes.
Laprès 1952 : cest le temps du déploiement avec la double personnalité de John Cage et Merce Cunningham qui, mâtinée des effets conjugués de la Performance, de la « Judson Dance », de la « New Jersey School », du Happening et de Fluxus, contribue largement à faire des arts visuels un espace dans lequel le corps, le son, limage et les choses, y compris les plus incongrues, sassemblent.
Laprès 1990, enfin : cest le 3ème temps raccourci, temps récent de la synthèse. Cest notre temps : celui qui consacre lémancipation de lécran dans lequel lordinateur règle la continuité entre limage, le son, lespace, la manipulation et linteractivité.
Si la Biennale Musiques en Scène 2002 nillustre pas strictement ce parcours, elle en rend compte indirectement à travers trois attitudes, trois créations visuelles définissant chacune un mode dappropriation de lunivers musical tout à fait particulier.Tout dabord luvre de Sarkis. Lexposition sintitule « Le monde est illisible, mon cur si ». Elle se déroule en 3 temps, cest-à-dire en 3 scènes successives. Le propos est existentiel et il pose dabord un regard sur le monde. Mais cest à travers ce regard, celui de Sarkis, que lacuité poétique de luvre de Morton Feldman « Scrippled Symmetry » est convoquée (au cours de la seconde scène) et impliquée visuellement en tant que matériau sonore constitutif dune pensée visuelle. Luvre de Feldman, uvre musicale (trame, tissage, espace, durée), fait dès lors cause commune avec le regard pour que lon puisse entendre voir.
Ensuite luvre de Laurie Anderson. Artiste pionnière, elle occupe dès les années 70 (dix neuf cent) tous les supports et toutes les formes du récit qui, de la page à la scène, de lobjet à lobjet sonore, du mot à la musique et du voir à lentendre, vont la conduire à créer simultanément pour la scène musicale et pour la scène visuelle. Lexposition rapporte ces étapes et présente en création mondiale une pièce visuelle/sonore commandée et créée pour loccasion, intitulée « Ocean ».
Enfin, lexposition « New York, New Sounds, New Spaces ». Celle-ci, sous légide chaleureuse de Stephen Vitiello (artiste, musicien, découvreur sonore déjà invité en 1999), présente un choix de créations réalisées par une scène new-yorkaise en pleine expansion créative.
« Musiques en Scène » 2002 présente 3 univers poétiques qui incarnent désormais lharmonie conclue entre le sonore et le visuel ; 3 univers qui tenteraient de prouver, contrairement à ce qua dit un des grands artistes du XXème siècle, quon peut désormais regarder voir et entendre entendre (1).
Thierry Raspail(1) Marcel Duchamp, « La boite de 1914 » : « voir, on peut regarder voir ; on ne peut pas entendre entendre ».