Du 2 février au 18 mai 2002
Sarkis présente son œuvre, en une exposition constituée de trois scènes qui se succèdent dans le temps.

L'exposition a pour titre :
Le monde est illisible, mon cœur si.

La scène originelle se tient du 2 février au 2 mars 2002 et porte en sous titre La brûlure.
Elle rassemble sur plus de 1000 m2 une sélection d'œuvres choisies par l'artiste dans sa production des années 80-90 qui toutes font référence à la notion de brûlure.
Ainsi Les Cendres de Gramsci, La fontaine de Krishna, Froid au dos, Paysages brûlés, Transflammation sont pour la première fois exposées ensemble.

Du 6 mars au 7 avril elles sont ensuite recouvertes par de magnifiques kilims anciens lors de la deuxième scène.

Celle-ci est intitulée L'espace de musique. Musique qui, tout comme la lumière et la couleur, est une des composantes primordiales de création dans l'œuvre de Sarkis. Cette seconde scène fait partie intégrante de la Biennale Musiques en Scène dès lors même, que dans sa forme, elle associe l'exposition et le concert.

“Les œuvres se reposent,
on aperçoit leurs formes sous les kilims.
Leurs brûlures sont couvertes.

Les 14 lustres en néon rouge sont toujours allumés,
4 haut-parleurs diffusent Crippled Symmetry de Morton Feldman,
composé d'après le pattern d'un kilim turc.
La musique dure 65'10,
l'espace devient un espace d'écoute.

Toutes les 90 minutes,
les spectateurs/auditeurs arrivent sans chaussure,
s'assoient sur les kilims,
écoutent la musique
dans ce décor”.

C'est ainsi que Sarkis décrit cette deuxième scène qui sera ensuite remplacée par la troisième et dernière portant le titre L'ouverture et qui se déroulera du 17 avril au 18 mai 2002.

L'espace est entièrement vidé de ses œuvres précédentes à l'exception des 14 lustres de néon qui brûlent depuis le premier jour. Le sol est dévoilé, l'air de la salle est sans cesse renouvelé par un système périphérique de ventilation mécanique et l'espace libéré est parcouru par les pages volantes des quotidiens du jour.

Au centre, une agora, un lieu de parole où l'artiste trois jours par semaine dialogue avec le public. En parallèle Sarkis, y installe temporairement son école où il reçoit de jeunes artistes pour des matinées de discussion tandis qu'une fois par semaine un invité vient parler de l'état de notre monde.
“Dans cet espace de tuyauteries et de vent,
de bons et de mauvais temps,
de bonnes et de mauvaises nouvelles”.


Sarkis

Pendant toute la durée de la deuxième scène le public entendra Crippled Symmetry. À propos de cette œuvre et des liens qu’elle entretient avec les tapis d’Anatolie voici ce qu’en dit Morton Feldman :

“Mon intérêt grandissant pour les tapis du Proche et du Moyen-Orient m'a conduit à remettre en question les notions que j'avais alors sur ce qui est symétrique et ce qui ne l'est pas.

Les tapis des villages d'Anatolie, comme les tapis des nomades semblent s'intéresser bien moins à la fidélité de l'image en miroir que dans la plupart des zones de production de tapis. Le détail d'un motif symétrique d'Anatolie était beaucoup moins mécanique que je ne l'avais imaginé, et était réalisé de façon plus idiomatique. Même le tapis turc classique n'était pas aussi précis, malgré ses bords parfaits, que ne l'était son équivalent perse.

Une symétrie disproportionnée qu'elle soit rythmique ou dans la longueur (durée) des phrases caractérise l'évolution musicale au XXe siècle.

Le Spiegelbild (l'image miroir) de Webern dans ses derniers développements avait pour base sa procédure des douze tons et le moindre déséquilibre conduisait à une légère variation de la distribution rythmique ou de la distribution en miroir des cordes. Ainsi pour le rythme, la tendance post-webern devait aboutir à un compromis entre le symétrique et l'asymétrique. […]

Les tapis d'Anatolie m'ont amené à réfléchir à une symétrie disproportionnée dans laquelle une série rythmée et décalée symétriquement : 4:3 - 6:5 - 8:7 serait le postulat de mes compositions d'alors.

Cela m'a amené à “maintenir” ma substance d’avantage dans le cadre métrique de la mesure, alors que dans le langage arythmique post-webern, l'accélération disproportionnée résulte d'une force d'attraction d'une figure par une autre.

Ce que je devins ensuite fut un peu comme Mondrian qui ne voulait pas peindre “des bouquets, mais une seule fleur à la fois”. […]

Au moment où un compositeur note sur le papier ses pensées musicales du moment, il a déjà un réseau de références, opérant comme une règle. La musique et les dessins ou les motifs répétés d'un tapis ont beaucoup de chose en commun.

Quand bien même un des composants serait placé de façon asymétrique par rapport à un autre sa proportion n'est jamais hors échelle si l'on considère l'ensemble. La plupart des motifs des tapis traditionnels gardent la même taille qu'ils soient saisis dans un grand tapis pour être ensuite adaptés à un plus petit”.

Morton Feldman